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La Serbie et la Russie: entre proximité historique et stratégies divergentes

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Tout juste revenu d’une visite à Moscou pour y rencontrer les autorités russes, le Premier ministre serbe Aleksander Vučić s’est félicité de la livraison par la Russie aux forces armées serbes de 6 avions de chasse MiG-29, ainsi que du matériel militaire à un prix jugé « dérisoire ». Cet événement reflète une double logique qui existe entre les deux pays. En effet, si la proximité historique entre ces deux Etats est incontestable, celle-ci ne doit pas cacher les stratégies divergentes développées par chacun des gouvernements en place. Belgrade joue en effet la carte de la « neutralité » sur la scène internationale, tandis que Moscou cherche à retrouver une influence certaine dans les Balkans.

Une proximité historique comme moteur des relations serbo-russes

Vladimir Poutine accueilli par le Président serbe Tomislav Nikolić en octobre 2014 à Belgrade.

La Serbie et la Russie s’entremêlent à travers l’histoire notamment par une culture slave commune et par le partage d’une même religion, l’orthodoxie. L’Eglise orthodoxe est en effet une alliée majeure de Vladimir Poutine pour garder une influence certaine en Serbie, d’autant plus que  l’élection de Tomislav Nikolić – russophile convaincu – a permis de renforcer la proximité entre les deux Etats. L’image du grand frère russe est fortement ancrée dans les mentalités en Serbie, et ce même si le soutien de Moscou à Belgrade n’a pas toujours été constant dans l’histoire. Toujours est-il que dans l’inconscient collectif, la relation entre la Russie et la Serbie est « fraternelle ». Cette proximité s’exprime aussi par des opérations de coopération, d’échanges militaires, économiques et de visites officielles.

En effet, il n’est pas rare que Moscou et Belgrade s’entendent sur un certain nombre d’actions à mener. En atteste la visite très politique de Vladimir Poutine à Belgrade en 2014 afin d’assister au défilé militaire organisé par la Serbie à l’occasion du 70ème anniversaire de la libération de la capitale serbe, la participation de forces armées serbes l’année suivante lors de la parade militaire russe à Moscou, l’organisation de missions militaires conjointes en novembre 2016, ou encore l’acquisition récente par la Serbie d’avions de chasse MiG29 auprès de la Russie.

C’est d’ailleurs à cette occasion que le ministre de la Défense russe Sergeï Choïgou a invité les autorités serbes à prendre part au « Forum militaire et technique international » organisé par la Russie, aux Jeux internationaux de l’Armée ainsi qu’à la sixième conférence de Moscou sur la sécurité internationale qui se déroulera en avril prochain.  Aleksandar Vučić aurait quant à lui évoqué la possible acquisition de systèmes de missiles de défense aérienne russes en 2018, ce qui n’est aujourd’hui pas confirmé.

Pourtant, au-delà de cette proximité qui se maintient au fil des années, Belgrade et Moscou nourrissent des ambitions différentes.

La politique de la « neutralité » de la Serbie face au soft power russe dans les Balkans

La politique étrangère serbe rappelle celle de la Yougoslavie qui défendait à son époque le « mouvement des non-alignés ». Cette politique consiste à faire preuve de pragmatisme et de neutralité sur la scène internationale en ménageant continuellement les différentes puissances influentes environnantes. Ainsi, la Serbie tient aujourd’hui autant à ses liens avec la Russie qu’à sa probable future intégration au sein de l’Union européenne. En effet, l’Etat serbe bénéficie de l’instrument de pré-adhésion IPA II (Instrument d’aide de pré-adhésion, 2014-2020) et le pays possède le statut de candidat officiel à l’adhésion depuis 2012. Le processus de négociation suit son cours et ce malgré l’existence de difficultés entre Belgrade et Bruxelles quant à la question des relations entre la Serbie et le Kosovo. Toutefois, il est vrai que les autorités politiques serbes agissent plutôt par pragmatisme politique dans leurs rapports avec Bruxelles.

En parallèle de ce processus d’adhésion à l’UE, la Serbie est membre du Conseil de l’Europe, ou encore du programme de Partenariat pour la Paix de l’OTAN (même si le pays ne souhaite pas intégrer l’Alliance atlantique). Ces différents engagements sont une preuve de l’équilibre recherché par Belgrade quant à son positionnement sur la scène régionale et internationale.

De son côté, la Russie s’inscrit comme une puissance influente dans les Balkans et c’est à travers une multiplication des relations bilatérales avec les Etats de la région que Moscou entend faire de ce territoire une zone d’intérêt stratégique. Sur le plan économique, la Russie sait qu’elle peut utiliser le levier énergétique pour faire pression sur la Serbie, qui est majoritairement dépendante du gaz russe. A l’échelle diplomatique, Moscou se positionne régulièrement comme protecteur de de son « petit frère slave ». La Serbie est ainsi définie comme un des éléments d’une stratégie plus large d’influence russe dans les Balkans, à l’heure où les tensions persistent en Moldavie, en Ukraine, mais aussi en Macédoine.

Dans leur globalité, les Balkans occidentaux constituent une région stratégique pour Moscou qui désirait il y a peu encore en faire un « hub » au cœur de son dispositif d’acheminement d’hydrocarbures à destination des pays de l’Union européenne. L’analyse des relations entre la Serbie et la Russie mérite donc d’être étudiée au prisme de l’histoire mais aussi à la lumière du contexte géopolitique actuel.

 

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